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Photo du rédacteurMichel Cornelis

Et si vous n'étiez plus payé depuis 6 mois ?

Dernière mise à jour : 2 mai 2018

Tôt ou tard (et le plus souvent, tôt...), le prestataire de services indépendant sera confronté à des retards de paiement de la part de ses clients.

Il s'agit même d'une source importante de faillite des PME.

Culturellement, il existe une tendance à payer les fournisseurs en retard qui va croissant du Nord au Sud de l'Europe.

Et pourtant, on peut se demander ce que les entreprises ou institutions ont à y gagner :

  • c'est illégal : même en l'absence de conditions générales, une directive européenne transposée en droit belge prévoit par défaut un paiement à 30 jours date de facture des factures commerciales

  • les meilleurs prestataires de service vous serviront en dernier lieu (s'ils ne sont pas opportunément toujours occupés au moment où vous avez besoin d'eux...)

  • ceux qui restent intègreront dans leur prix un taux d'intérêt largement supérieur à celui d'un financement bancaire

Les causes ne sont pas souvent celles que l'on croit

​Mon expérience de plus de 25 ans comme observateur de la vie des entreprises montre que les cas où les fournisseurs sont payés en retard parce qu'il y a un vrai problème de fond de roulement qui ne peut être facilement résolu par des crédits bancaires sont extrêmement marginaux.

Bien au contraire, la majorité des cas révèlent des problèmes internes de culture, de processus, de personne, de contrôle...

De culture : un certain nombre d'entreprises pensent encore que les processus clients sont plus importants que les processus fournisseurs (pour le dire autrement : le client est roi, le fournisseur est le laquais). 

De processus : très fréquent dans les institutions publiques, mais également dans le privé, le processus d'approbation des paiements est d'une durée aléatoire en fonction de la présence ou du bon vouloir d'un intervenant. Le comptable est en congé de maladie, les fournisseurs attendront qu'il revienne... !

De personne : plus ou moins à l'insu de leur hiérarchie selon les cas, un certain nombre de retards de paiement fournisseurs sont simplement attribuables à une personne qui masque son débordement, son incompétence, voire des problèmes de dépendance divers en négligeant d'initiative le côté fournisseurs, parce qu'elle pense (souvent à raison) que c'est de ce côté que ça se verra le moins vite...

De contrôle : exactement de la même façon qu'il pense que les candidats reçoivent une réponse​, ​le CEO pense que les fournisseurs sont payés normalement, parce qu'il part, à tort, du postulat que les processus de base fonctionnent bien dans son entreprise et qu'il peut s'occuper de choses plus nobles. Et rares sont les systèmes de management de la qualité qui ont un contrôle, mesure à la clé, des dépassements d'échéance de paiement des fournisseurs.

Et je passe sous silence les problèmes informatiques qui ont bon dos...

Un peu de pédagogie

L'employé attend son salaire net pour payer son loyer (ou son crédit hypothécaire), sa nourriture, ses factures et ses loisirs. Il en va de même pour l'indépendant. Sauf que l'employé ne doit pas se préoccuper du paiement de la TVA, de ses cotisations sociales et de versements d'impôts anticipés, le tout étant pris en charge par son employeur.

Il en va tout autrement pour l'indépendant : ces montants sont dus à des échéances précises, dépendant non de la rentrée de l'argent, mais de la date de la facture émise. Et le tout, sous peine de majorations ou d'amendes importantes.

L'indépendant qui souhaite payer directement ses cotisations sociales et versements anticipés en fonction des montants réels​ (ce qui est son droit le plus strict) doit donc décaisser grosso modo 21% de TVA + 22% de cotisations sociales + (arrondissons...) 20% d'impôt anticipé dans le trimestre qui suit l'émission de sa facture, soit plus de 60% de celle-ci... et ce, sans avoir touché un euro si le retard de paiement dépasse le trimestre.

Prenons un exemple : vous facturez 10.000 € le trimestre 1. Vous êtes payé. Vous payez vos 6000 € de cotisations en tout genre. Il vous reste 4000 €. Vous en dépensez 2000 pour vivre. Il vous reste 2000 €. Le trimestre 2, vous facturez 10.000 € à nouveau, mais vous n'êtes pas payé. Vous devez quand même payer vos 6000 de cotisations. Les 2000 € qui vous restaient du trimestre précédent, vous en avez besoin pour vivre ce trimestre-ci. Vous ne pouvez donc pas payer votre TVA, ni vos cotisations ONSS, ni vos impôts. Les ennuis ne sont pas loin : ils sont déjà là !

Alors, si vous pensiez encore que l'indépendant peut bien attendre un peu après son argent, peut-être avez-vous une vue différente maintenant... Et s'il vous faut toucher la réalité du doigt pour la comprendre, interdisez-vous de toucher à votre salaire net pendant 6 mois, pour voir. Et encore, vous n'accumulerez pas de dettes TVA, ONSS, ni précompte...

L'état d'infériorité commerciale

​Pourquoi l'effort législatif louable reste-t-il sans effet notable ? Parce que le petit indépendant est dans un état d'infériorité commerciale qui l'empêche de faire valoir ses droits sous peine de voir la relation commerciale avec son client affectée, voire définitivement rompue.

​​​Même s'il est conseillé d'avoir des conditions générales de vente​, celles-ci ne seront véritablement utilisées qu'au tribunal, c'est-à-dire au prix de la perte définitive de votre client si vous devez en arriver là.

Personnellement, je recommande une approche basée sur la plus grande rigueur vis-à-vis de tous vos clients. Plutôt que d'agir au cas par cas, avec des pincettes et en fonction de vos propres besoins de trésorerie, je préfère agir mécaniquement, comme si ça allait de soi, en toutes circonstances et surtout, dès le début de la relation avec le client : tout d'abord, émettre vos factures ponctuellement. Ensuite, un premier rappel dès 3j de retard, un deuxième après 8 jours, une mise en demeure après 14j et l'interruption des services avec exigibilité immédiate de toutes les factures (même non échues) après 21j de retard. Facturation systématique des frais et majorations prévues légalement ou dans les conditions générales. En principe, vous vendez vos services de professionnel rigoureux dans votre domaine d'expertise. Pourquoi devrait-il en aller autrement sur le plan administratif ? Vous verrez, la relation avec vos clients n'en sera que plus équilibrée. N'oublions pas que les obligations contractuelles du client vis-à-vis de vous n'ont pas moins de poids que les vôtres vis-à-vis de votre client.

Mais je sais que tous les petits indépendants ne peuvent pas se le permettre. Je pense qu'il existe une solution beaucoup plus radicale et efficace - qui demande la contribution des autorités de contrôle :​

La solution finale

Sacré titre ! Et pourtant, j'en rêve ! :-)


Pour éviter la situation d'infériorité commerciale qui rend tout effort législatif largement vain, il suffirait de créer un point de contact central auquel les retards de paiement pourraient être rapportés (exactement comme le registre des mauvais payeurs pour les particuliers qui ne remboursent pas leurs crédits).


Les entreprises mises en cause seraient contrôlées sur l'ensemble de leurs dettes fournisseurs (ce qui anonymiserait l'identité du plaignant), et tous les montants échus devraient être payés sans délai, sous peine de majorations dont une partie bénéficierait aux fournisseurs concernés. Ce contrôle devrait d'ailleurs être rajouté systématiquement pour l'exercice en cours à tout contrôle fiscal portant sur les exercices antérieurs.

En cas de défaut d'exécution, un pourcentage des montants payés par le client à l'ONSS, au précompte professionnel et aux impôts serait automatiquement débité du compte du client avec ces administrations et porté au crédit du compte équivalent des fournisseurs lésés.


Bref, on changerait radicalement de paradigme, avec des moyens sommes toute raisonnables, car ce système aurait un effet largement préventif et dissuasif, ce qui limiterait rapidement les cas réels d'application. Et les coûts pour la collectivité seraient probablement largement compensés par une meilleure liquidité des PME et un moindre taux de faillites.


Défendre le faible, n'est-ce pas là un devoir de l'État ?

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